Le Premier ministre face au risque de censure
I. Le Premier ministre face au risque de censure

Le Premier ministre Michel Barnier fait face au risque de censure après son recours au 49.3 pour le budget de la Sécurité Sociale.
Comme l’on pouvait s’y attendre depuis plusieurs jours, le Premier ministre Michel Barnier a décidé d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution le lundi 2 décembre pour faire adopter les conclusions de la Commission Mixte Paritaire du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale 2025 (CMP conclusive le 27 novembre dernier), engageant ainsi la responsabilité du gouvernement sur ce texte.
Juste après l’annonce du Premier ministre, les groupes LFI et RN ont annoncé chacun le dépôt d’une motion de censure. Ces motions de censure seront examinées le 4 décembre à 16h par l’Assemblée nationale.
C’est la première fois depuis sa nomination début septembre que Michel Barnier recourt au 49.3, « un outil » fréquemment utilisé par Elisabeth Borne sans qu’aucune motion de censure n’ait jamais été adoptée (ce qui ne s’est produit qu’une seule fois depuis le début de la Vème République, et jamais à la suite d’un 49.3). Cependant, cette fois-ci, l’ajout des 124 voix du groupe RN et des 16 voix de son allié UDR aux 192 voix du Nouveau Front Populaire (soit un total de 332 voix) pourrait permettre d’atteindre le seuil des 288 suffrages nécessaires pour renverser le gouvernement, étant donné que 2 sièges sont actuellement vacants.
Quelques heures plus tôt, dans une ultime tentative de négociation avec le parti de Marine Le Pen, Matignon avait publié un communiqué affirmant que le gouvernement s’engageait à garantir « qu’il n’y ait pas de déremboursement des médicaments en 2025 ». Ce geste s’inscrivait dans une série de concessions faites au RN, parmi lesquelles l’abandon de la hausse des taxes sur l’électricité prévue dans le PLF et la promesse de réformer « sensiblement », dès l’an prochain, l’Aide médicale d’État (AME) destinée aux étrangers en situation irrégulière. Ces annonces n’ont cependant pas suffi à Marine Le Pen, laquelle avait réitéré sa demande au gouvernement de renoncer à la « désindexation des retraites » sur l’inflation.
Il reste désormais 48h au gouvernement pour convaincre les groupes d’opposition de ne pas voter la motion de censure. Il faudrait par exemple que l’ensemble des 66 députés socialistes décident de ne pas mêler leurs voix à celles du RN et de LFI, ce qui paraît peu probable dans les circonstances actuelles, malgré les annonces de quelques députés PS à l’image de Philippe Brun qui plaident pour un accord de non-censure avec le bloc central.
Et si une des deux motions de censure passait sur le PLFSS 2025 ?
L’adoption de cette motion aurait deux conséquences directes :
- Les conclusions de la CMP PLFSS seraient considérées comme rejetées ;
- En vertu de l’article 50 de la Constitution, le Premier ministre devrait alors « remettre au Président de la République la démission du gouvernement ».
Le gouvernement démissionnaire pourrait dès lors uniquement expédier les affaires courantes (cf. les 51 jours de gestion des affaires courantes du gouvernement Attal).

Pour faire adopter le PLFSS, le gouvernement pourrait décider de
- S’appuyer sur l’article 47.1 alinéa 3 de la Constitution qui permettrait, « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 50 jours » (en l’occurrence jusqu’au jeudi 5 décembre 2024 à minuit), de « mettre en œuvre par ordonnance » les dispositions du PLFSS ;
- Soit de suspendre l’examen du PLFSS en attendant un nouveau gouvernement.
Concernant le PLF, si une censure intervenait le 4 décembre, le Sénat aura déjà entamé l’examen de la 2ème partie du PLF.
Est-ce que le gouvernement peut poursuivre la navette sur le PLF si l’on considère que ledit texte entre dans le champ de l’expédition des affaires courantes ?
o Dans une 1re hypothèse, le délai de 70 jours permettant au gouvernement de mettre en œuvre le PLF par ordonnancecontinuera de courir.
Le gouvernement pourrait donc patienter jusqu’au samedi 21 décembre à minuit pour invoquer l’article 47.1-3 de la Constitution et mettre ainsi en œuvre par ordonnance les dispositions du PLF.
Cela déboucherait sur l’adoption d’un PLF complet signant ainsi la fin de la séquence budgétaire.
o Dans une 2ème hypothèse, le gouvernement démissionnaire tente de faire adopter en urgence un projet de loi (PJL) spécial, prévu par l’article 45 de la LOLF.
Cette hypothèse, privilégiée par l’exécutif, a été pensée pour parer un « shutdown » budgétaire permettant ainsi au gouvernement de percevoir les impôts.
Il existe un seul précédent datant de 1979. Ce PJL spécial devra avoir été déposé avant le 19 décembre (afin de respecter la LOLF) tandis que l’examen du PLF sera simultanément suspendu. A noter que la promulgation de cette loi spéciale ne signerait pas la fin de l’épisode budgétaire dans la mesure où il ne s’agit pas d’un budget en tant que tel. Ce texte, difficilement amendable, pourrait par ailleurs être censuré.
o Dans une 3ème hypothèse, celle d’un nouveau gouvernement renommé dès le 9 décembre, l’examen du PLF pourrait reprendre devant le Sénat. Michel Barnier devra cependant élargir son bloc central et éventuellement accepter un accord avec le RN.
Au-delà du fond des propositions, nous considérons que Marine Le Pen souhaite faire sauter le verrou du cordon sanitaire autour du RN en obligeant Michel Barnier à accepter sa main tendue, stratégie qu’encourage Gérald Darmanin, député et ancien ministre de l’Intérieur. Toutefois, il peut s’agir d’un piège dans la mesure où Michel Barnier ouvrira un précédent historique et pourra, à moyen terme, faciliter l’accès du RN à la fonction présidentielle, le parti étant définitivement dédiabolisé car rendu co-responsable de la stabilité des institutions.
Vers une double crise politique et financière ?
Si le gouvernement venait à être renversé, la France plongerait encore plus profondément dans la crise politique déclenchée par la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron au soir des élections européennes en juin dernier. À cela s’ajouterait le risque d’une crise financière, avec une pression accrue sur la capacité du pays à emprunter sur les marchés.Cette inquiétude se reflète déjà dans la forte hausse de l’écart entre les taux d’emprunt de la France et de l’Allemagne.
Même si le Premier ministre parvient à éviter la censure mercredi, il restera confronté à l’absence de majorité à l’Assemblée nationale.
Cela compliquera l’adoption du projet de loi de Finances de fin de gestion pour 2024, dont la CMP se réunit aujourd’hui, et surtout celle du projet de loi de Finances (PLF) pour 2025. Ce dernier, en cours d’examen au Sénat, n’a pas pu être adopté à l’Assemblée nationale en octobre. Chaque étape nécessitera probablement un recours au 49.3, avec à chaque fois le spectre d’une nouvelle motion de censure.